Une femme
Poster un commentaire17 août 2012 par gregoirepolet
Elle vole le client. Tomaso, lui, c’est un gentil ; elle, una regina. Ils ouvrent un bar, un restau, mais elle veut vivre comme Sofia Loren ou la princesse de Monaco. Tenancière, serveuse, mais elle hait le travail de toute sa force. Elle ne le hait pas par paresse et elle ne manque pas de courage ni de capacité d’effort. Elle hait le travail parce que pour elle la vie doit être sublime et gratuite. Immédiate. C’est instinctif. Ce n’est pas une capricieuse. C’est une nature tragique. Tomaso a raison. C’est une Reine.
Vivre une existence de papier glacé, quand on n’est pas du papier glacé, c’est un considérable effort de tous les jours pour se hisser au-dessus de sa réalité, pour vivre constamment sur le toit de soi-même, pour se l’aménager en terrasse, solarium de luxe et de beauté. Toute la maison par-dessous, n’y aller jamais, ou le moins possible. Surtout, sans se faire remarquer. Toute cette matière d’existence doit disparaître au profit du seul éclat sommital de sa beauté, du sourire, de la blancheur des dents, du mouvement de sa chevelure quand l’air tiède d’onze heures du soir la soulève, au démarrage de la BMW décapotée.
Le reflet scintillant de l’éclairage public, la nuit, tel réverbère de la via Veneto, sur l’acier rodié de son bracelet de montre ou sur le cristal coloré Swarovski vert à son poignet, ce métallique chatoiement quasi immatériel, voilà le fragment de seconde qui justifie pour elle toute la longueur du temps, le fragment de réel pour lequel toute la réalité valait d’être subie. Le sens de l’existence consistait en une distillation d’une matière énorme, immonde et insupportable de temps et de réalité, pour produire quelques gouttes brillantes, perles, flashes, blinqûre de carosserie, paillette, éclat du cognac ambré dans le ventre de cristal, émotion forte, brûlure de désirer un homme interdit, cigare, sueur d’être toujours sur le fil de tromper.